Depuis trois ans, la Licorne de la liberté s’est installée à l’école Du Breuil, à l’instigation de Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle. Elle habite le paysage et nous invite à le regarder comme le lieu de rencontre entre la nature – le vivant non-humain – l’humain qui y travaille et la contemple et le fabuleux qui porte sur tout un regard facétieux, comme le chat du Cheshire de Lewis Carroll.
A l’occasion des Portes Ouvertes de l’école, les 30 et 31 mai prochains, c’est ce chat, fabuleux lui aussi, qui sera notre invité spécial.

Il sera au rendez-vous et avec lui une girafe, un cheval, un caméléon et un requin-marteau. Mais ils ne seront pas là comme une ménagerie : pas de cirque à l’école. De même que ne subsiste que le sourire du chat dans Alice au pays des merveilles, seuls les regards de ces animaux feront le déplacement.
Anne Cleary et Denis Connolly, artistes irlandais, nous proposent en effet une expérience unique dans le lieu qui lui convient le mieux : le jardin de cette école où l’on doit avant tout apprendre à regarder, apprendre à distinguer les végétaux entre eux, à comprendre leur port et leur étalement, la place qu’ils prennent et prendront dans la « grande image », celle du paysage. Puisqu’il s’agit de regarder, vous allez avoir l’occasion de le faire comme jamais, avec les yeux de la girafe, du caméléon, du chat du Cheshire ! De superbes casques, carrossés comme des voitures de luxe, vous seront prêtés et par des jeux de sophistiqués de miroirs et de prismes, mettront entre le paysage et votre rétine un système qui enverra à votre cerveau la vue de l’animal choisi. Vous avancerez, comme un cheval, avec deux images latérales qui se recoupent à peine ; comme un requin-marteau, vos yeux écartés de 70 cm pour sentir une perspective approfondie ; ou bien avec une vision devant et derrière au même moment, comme le caméléon.

Ainsi, l’école Du Breuil se transforme pour un week-end en Ecole du regard en ne vous invitant pas seulement, comme ses professeurs le font tout le temps, à donner plus d’intensité à ce que vous voyez, à la comprendre, à l’interpréter, à l’aimer plus fort. Par ce détour de la vision animale, l’occasion vous est donnée de faire un pas de côté, de devenir un autre pour mieux comprendre votre propre manière de voir.

Attendez-en plus qu’une balade fantasque, vous avez l’occasion de réviser votre point de vue sur le monde !

Si cela ne vous suffit pas, Cleary et Connolly ont d’autres propositions à vous faire. Que diriez-vous de voir à la fois le présent et le passé ? Les deux visions de notre splendide roseraie se superposeront On Sight, un vidéo-stéréoscope installé à la manière des viseurs panoramiques des lieux touristiques. D’autres casques futuristes vous permettent d’explorer le monde à l’inverse, comme le scientifique George Stratton a fait en 1897 pendant ses recherches en adaptation perceptuelle… est-ce-que vous, vous allez pouvoir vous adapter?

S’il vous faut une perturbation supplémentaire et que vous voulez voir le jardin en négatif ou avec d’autres couleurs, téléchargez l’application Look both ways.

Il ne vous restera plus ensuite qu’à repérer des fleurs spéciales, disséminées dans le verger dans les murs, qui ont la particularité d’affecter elles aussi votre vision. Ces petits pièges optiques sont des lentilles qui ne sont pas que grossissantes.

Après tout cela, si dans les branches vous apercevez des images de casques, vous saurez qu’elles vous projettent vers un futur proche, celui où d’autres visions animales vous seront proposées.

Vous serez un élève sérieux de l’école du regard, vous jouerez ce jeu de la perturbation, vous accepterez de n’être plus vous-même et d’emprunter leur représentation du monde à des vivants non humains, vous vous habituerez peut-être à vous dire que votre point de vue n’est pas le seul et surtout qu’il détermine votre manière de penser. Vous serez un animal. Vous serez prêt à faire de la philosophie.

Frédéric Triail